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Aux mouchoirs exaltés
22 août 2011

À Maggie

 Certains matins, quand la langue de l'été me réveille en me léchant le corps, me force à me lever pour éponger sa bave salée au creux de mes aisselles et de mon dos, je contemple, à travers la mollesse gélatineuse de mes yeux encore collés de la poisse du sommeil, la chaleur qui palpite au dehors, le sirop assoiffé de l'horizon. J'ai des visions éthyliques à ces heures où le matin claudique encore : les lueurs se mêlent à mon aveuglement de dormeuse, je glisse sur ma sueur, dérape en moi-même. Alors me viennent les pensées saoules de toi. Elles qui galopent sur mes paupières à toute heure du jour me narguent à se balancer hors d'atteinte, suspendues au néant. Elles chuchotent : bientôt – et se dissolvent en mon éveil. Plus tard, ton souvenir dégringole avec mes céréales ; je le grignote, son goût encore évaporé, qu'il aille gaver ma hâte et mon appréhension.

J'avais pourtant pour habitude de l'entortiller autour de mon doigt, les matins sans nombre où tu n'existais plus : je l'y laissais sans plus y toucher, sinon pour le gratouiller en biais, comme on vérifie d'un froissement ses poches sans se soucier d'en inspecter le contenu, ne le connaissant que trop bien. Douceur tranquille, à ne pas fouiller davantage. J'en ignorais les appels, les attaches à la réalité ; ton fantôme avait sa place, son canapé moelleux dans ma mémoire, pourquoi l'en déloger ? Et, quand le spectre de ton existence revenait mordre mes flancs de ce qui aurait pu s'appeler regret, quand ma main d'elle-même se cherchait un chemin vers ton contact, je la retenais, le temps d'un songe où je t'aurais retrouvée, mais qui se finissait, invariablement, par la vision de ton dos déjà noyé dans le brouillard des désirs morts-nés.

Les souvenirs ne trompent pas, on sait quoi attendre d'eux, quelles nostalgies s'y distillent, encens fuyards chaque fois plus durs à rattraper – mais tant pis : bientôt on les connaît si bien que peu importe leur fragrance, si la narine se rappelle encore comment frémir en leur honneur. Toi tu te dispersais de même, biche toujours plus agile à t'esquiver, à la périphérie de ma vision. Mais comme ta fuite t'envoyait en dedans, là où l'œil ne peut se retourner – dommage – et pas dans l'immensité du dehors où je t'aurais définitivement perdue, je ne te regrettais jamais, te sachant encore en moi, part de moi-même à la présence diffuse.

Ce n'est pas que ton nom jamais ne parvînt à crever la surface de mon ingratitude. Il remontait, de temps à autre, éclaboussure amère sur mes tranquillités, et il me fallait bien lui accorder une attention que j'aurais voulue assoupie. Je pensais à toi, alors, avec cette délectation paisible mais dont l'indifférence affectée cachait mal ce récurrent songe du « et si ».

Les voilà maintenant réalisées, ces hypothèses douceâtres. Je les suçote comme des menthes fraîches, à tâcher de retrouver le goût d'être avec toi. Il m'échappe encore, volatile rideau au constant refus de soulever ses frissons pour me montrer tes moues à demi effacées. Sans doute mon impatience gicle-t-elle trop sur le tableau où tes traits crayeux fondent avec les mots que tu ne dis plus. Rien à tirer de cette rigole faite d'esquives ! Rien ; aussi je suffoque seule dans ma hâte un peu inquiète.

Dis, Maggie, ce sera comment de te revoir ?

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