Ces voiles agrafées dans le dos, qui retiennent et poussent tout à la fois

J'ai le souvenir encore vif de nos après-midis d'été – la brûlure des galets et du sel, les papillons d'écume éclaboussés sur le nez, l'air tout moite de nos rires, les arc-en-ciel de nos cheveux mouillés, les perles d'urine bues par le sable. J'ai la chaleur gravée dans l'os, surtout celui entre les côtes, là, qui fait mal quand on a trop mangé : parce qu'il est près du cœur. J'ai l'odeur imprégnée au creux de la narine, la langue acide des citrons croqués en secret au milieu des herbes sèches. J'ai, entortillées aux sourcils, les algues rêches qui nous mordaient les orteils, les mollets, jusqu'au cou à se trop rouler dans les vagues. J'ai les étoiles des soirs clairs en constellations serrées sous mon front ; elles dessinent les mouvements de nos jeux, les bras levés haut pour attraper des figues, les pieds balancés au bord des falaises. J'ai le regard qui cherche encore des mûres dans les ronces qui bordent le monde, comme l'oreille toujours à l'affût des grenouilles près des mares pourtant asséchées. J'ai les dents sèches des poussières de la route qui sifflent dans les arbousiers ; les effluves d'eucalyptus me reviennent à chaque petit craquement qui pourrait être celui de nos pas indiscrets sur les feuilles tombées le long du chemin. Au bout de mes doigts s'est gravée la rugueuse caresse des murs de pierre tout grignotés de vignes ; sous mes ongles se loge l'écorce tendre des amandes encore vertes. Mes paupières chaque soir se referment sur le bleu profond du ciel déjà éteint se mêlant à la mer, et je m'assoupis dans les bras salés des rives de la Méditerranée. Quand le sommeil m'emporte tant qu'il fait glisser de mes lèvres une goutte au sillon frais sur mon menton, c'est un escargot que je sens, et la lente avancée de son petit corps froid le long de ma peau de fillette.