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Aux mouchoirs exaltés
21 octobre 2011

Chacune son tour

Et puis finalement ce fut le silence.

Je ne t'en veux pas, je sais que je me suis tue plus longtemps, bien plus cruellement que tu ne le pourras jamais – car ta sensibilité fut toujours plus aiguisée que la mienne, et je la piétinai sans un souci.

N'est-ce de ta part qu'oubli, distraction ? Ou devrais-je y déceler une punition longuement méditée, souffle rauque sur les charbons haletants de ma paranoïa ?

Il faut dire aussi que je n'aime pas tendre la main, et crois trop que la garder ouverte suffit à attirer les autres. Dur de s'imaginer qu'autrui puisse ne pas deviner ce qui nous occupe tout entiers, nous tiraille d'impatience et d'espoir à demi étouffé... Malgré mes prétentions, l'empathie ne fut jamais parmi mes qualités.

Je pense encore à toi au creux de mes sociabilités inattendues, car tu fus toujours ce qui, sans que je le pusse admettre, les symbolisa. Figure-toi bien que, ces temps-ci, j'ai le sourire qui me gicle au visage comme une éclaboussure dont j'ignore la provenance. Je ne la cherche pas trop, heureuse simplement de sa fraîcheur, et me plais à me couler au milieu de visages et de corps (de corps, oui, tu lis bien, je force ma conscience à les englober, désormais) qui me semblent familiers sans que ça ne soit invention de ma part, imitation de guenon désirant se mouvoir parmi les hommes. Et l'on m'y accepte, et ce moi simiesque ne transparaît plus ! Comme j'aurais aimé te l'avouer en face, et glousser de fierté en croyant deviner la tienne.

Qui sait, ç'aurait pu être un après-midi de nos couleurs miroitant sur la grisaille des bords de Seine, ou un soir exalté sous les lueurs trop crues des Champs-Élysées, le ventre tout tendu d'un mauvais fast-food. Je nous vois bienheureuses, et jeunes, car soudain je me sens vieille, nous dandiner sur les trottoirs de mes souvenirs, sous l'ombre des platanes de mon imaginaire.

Mais peut-être n'est-ce plus toi, ce fantôme auquel je m'adresse. Depuis le temps, et avec cette mémoire poreuse d'où tout fuit en exhalaisons résignées, peut-être n'es-tu plus que le fantasme de cette amitié qui, toute tordue qu'elle put être, sut me donner un peu de chaleur quand j'en avais besoin, et guider mes mots autant que mon espoir vers un avenir auquel je n'aurais peut-être jamais pu croire sans son imperceptible mais pourtant solide soutien.

Peut-être n'es-tu plus que l'image d'une oreille et d'un oeil où je peux ainsi déverser mes bafouillements. Peut-être ne veux-je rien de plus, après tout. Après tout, à quoi bon cette lettre ouverte, sinon, quand je ne sais que trop bien que tu ne la liras jamais ? Je me rassure à songer que tu la parcourras, mais juste en biais, avant de l'oublier. Ainsi elle n'aura pas été tout à fait en vain, et néanmoins je la pourrai prétendre encore à moi.

Là vont mes regrets, là, et à tous les rires que nous ne partagerons pas, à tous les secrets que nous ne murmurerons jamais, à toutes les rues parisiennes que nous n'arpenterons pas côte à côte.

C'est un silence qui blesse, Maggie, quelle que soit sa nature et la volonté cachée ou non derrière.

Te voilà vengée, j'imagine.

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